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5 Idées Reçues sur la Finance Digitale en Zone Rurale

  • October 25, 2018

  • Dakar, Senegal

Auteur:

Bery Dieye Kandji, Knowledge Management and Communication Consultant

bery.kandji@uncdf.org

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Discussion avec les habitants du village de Keur Aly Samb, Porokhane

Dans les réunions du groupe de travail sur la finance digitale au Sénégal que nous organisons tous les trimestres avec les acteurs de l’écosystème, nous avons souvent évoqué le cas des communes rurales, leur potentiel pour les fournisseurs de services financiers et leurs challenges. Le plus souvent les discussions sont basées sur des études et des expériences d’autres pays. Mais peut-on vraiment élaborer des solutions pour ces communes reculées en restant entre 4 murs dans la capitale? Qui de mieux pour parler du rural que le rural lui-même ?

Nous avons délocalisé la troisième session de l’année 2018 du groupe de travail dans la commune rurale de Porokhane, composé de 60 villages et située à 250 km de la capitale, une occasion de confronter les fournisseurs de services financiers numériques avec les réalités du terrain. La rencontre avec les agents distributeurs et quelques clients nous aura appris beaucoup de choses.

Voici quelques idées reçues du monde rural que la visite de terrain a déconstruit :

1 - Les populations rurales ne s’intéressent pas à l’épargne par manque de revenus fixes

Lorsqu’on parle d’épargne on pense immédiatement à un surplus de revenus que l’on souhaite garder. Cette conception de l’épargne exclut d’office les populations rurales dont les revenus fluctuent au gré des activités saisonnières.

Pourtant, au village de Keur Aly, on s’intéresse à l’épargne. Les habitants ont mis en place un système d’épargne qui marche depuis plus de 2 ans. Une caisse commune est gérée par des personnes de confiance unanimement choisies. Chaque mois les habitants cotisent 2500 FCFA au vu et au su de tout le monde. Au bout de 12 mois, la caisse est ouverte et partagée équitablement. Avec la somme reçue, chacun réalise son projet qui peut être l’achat d’intrants pour l’agriculture, de bétail pour l’élevage ou de denrées pour le démarrage d’un petit commerce de proximité.

Dans ce village, le point de service financier le plus proche se trouve à environ 25 km. A la question de savoir pourquoi ils ne sollicitent pas une institution de microfinance ou une banque, Assane, un des préposés à la caisse a répondu : « S’il faut payer le transport aller-retour , faire 30mn de trajet pour faire le versement tous les mois, sans compter les frais de gestion du compte c’est une grosse perte pour nous. On a mieux fait de gérer l’épargne ici, en toute confiance et sécurité ».

Ce type d’épargne informel est courant dans la zone et prouve que l’intérêt est bien là.

2- Pour ouvrir un point d’accès aux services financiers numérique, il prévoir un dispositif de sécurité

Certaines institutions de microfinance mettent en avant l’aspect sécurité comme un prérequis pour ouvrir un point de distribution. Mais en zone rurale l’insécurité n’y est pas vraiment un fléau. Tout le monde connaît tout le monde ! Les portes n’existent presque pas. On ne ferme ni les maisons, ni les chambres. Les agents rencontrés ont clairement affirmé n’avoir pas besoin d’agent de sécurité pour leur activité. Pour eux il y a un grand commerçant dans chaque village, qui détient souvent le monopole de la distribution de denrées de première nécessité, et qui brasse des centaines de milliers de francs. Ce commerçant les dépanne souvent lorsqu’ils ont besoin de cash pour leur activité et il n’a aucun agent de sécurité. Pourtant tout le monde sait dans le village qu’il détient une fortune par devers lui. Le risque zéro n’existe pas mais il est minime en zone rurale.

3- En matière de conformité, Know Your Customer (KYC), les populations rurales ne remplissent souvent pas le prérequis de l’identification

Ce n’est pas une idée fausse. Mais c’est le raisonnement qui est surprenant. Adama Samb, agent nous a confié : « Souvent les clients qui viennent faire une opération ne comprennent pas que je leur demande une pièce d’identité. Je les connais tous, certains m’ont vu naître, d’autres sont des camarades de jeu, des parents. Donc pour eux je connais déjà leur identité, le parent qui a envoyé l’argent ou la personne qui doit recevoir. Pourquoi j’ai alors besoin de leur demander une pièce justificative ? J’ai énormément de difficultés à leur faire comprendre que cela fait partie de la procédure. »

Ce que décrit Adama est purement culturel. C’est la vie communautaire où tout le monde connait tout le monde. Un obstacle qui pourrait probablement être résolu par l’éducation financière. Il faut juste faire comprendre aux clients l’importance de l’identification qui est une mesure de sécurité pour eux avant tout.

4- Il y a une faible pénétration du téléphone portable en zone rurale

Il n’y a pas eu d’études récentes certes, mais lors de notre visite terrain, plus d’une personne rencontrée sur 2 détenait un téléphone, souvent un smartphone. Il faut croire que le téléphone est également rentré dans les habitudes de consommation des ménages ruraux. En effet, dans ces villages où il y a beaucoup d’immigrés, le téléphone a pris sa place dans le cercle familial pour permettre de garder le contact mais aussi pour faciliter la réception de fonds.

Une récente étude GSMA menée sur le mobile en Afrique de l’Ouest montre que d’ici 2020 cette partie du continent enregistrera la plus forte croissance mondiale en matière de téléphonie mobile avec 45 millions d’abonnés supplémentaires. La même étude explique que les terminaux à petits prix et la croissance du marché des appareils d’occasion vont stimuler l’adoption des smartphones.

C’est donc dire qu’il y a une fenêtre d’opportunités à saisir pour les fournisseurs de services financiers numériques.

5-Le niveau d’alphabétisation des populations rurales est un frein à la pénétration des SFN

C’est plutôt la disponibilité de services adaptés aux besoins des populations qui constitue le principal frein. Les populations rencontrées ont une bonne compréhension des services basiques comme le retrait d’argent via un porte-monnaie électronique ou un opérateur de transfert classique. Mais les services dont ils ont le plus besoin sont soit indisponibles, soit trop distants de leurs lieux d’habitation. Mamour Gueye du village de Keur Massar Ba explique : « Ici nous avons beaucoup d’immigrés qui veulent envoyer de l’argent à leurs familles. Or je ne fournis pas les services qui permettent ce type de transfert de fonds. Donc je sers de mule à tout le village en me rendant régulièrement en ville pour récupérer l’argent venant de nos frères immigrés. Si j’avais ce service ici cela me faciliterait la tâche et cela pourrait augmenter les revenus de mon activité. »

La visite aux agents et clients a été très utile et a permis d’animer la session du groupe de travail sur la thématique : quel modèle d’agent bancaire peut fonctionner dans le contexte rural du Sénégal ?

La grande surprise de tous les acteurs aura été le manque criant de formation, de suivi et de relation avec les fournisseurs décrié par presque tous les agents rencontrés.

Comme quoi, que ce soit en ville ou au village, il est nécessaire d’accompagner l’offre de services financiers numérique par la formation, l’animation et l’éducation financière. Les agents sont avant tout des relais de communication.