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Le COVID-19 montre les opportunités ainsi que les vulnérabilités rencontrées par les envois de fonds des migrants vers le Sénégal

  • June 15, 2020

  • Dakar, Senegal

Pour plus d'information veuillez contacter:

Serge Moungnanou
Digital Finance Specialist – Senegal, United Nations Capital Development Fund
serge.moungnanou@uncdf.org

Amil Aneja
Lead Specialist, Migration and Remittances, United Nations Capital Development Fund
amil.aneja@uncdf.org

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La pandémie de coronavirus a provoqué un tarissement des envois de fonds des migrants vers le Sénégal, à mesure que le COVID-19 s’est développé et que des mesures de confinement ont affecté les travailleurs migrants qui, d’habitude, envoient de l’argent à partir de pays en majorité européens, comme la France, l’Italie et l’Espagne.

Avant que l’Europe ne devienne l’épicentre de la pandémie, le flux d’envois de fonds vers le Sénégal avait connu une augmentation constante au cours de la décennie précédente. D’après la Banque mondiale, le montant total de ces envois de fonds représentait un peu plus de 2,5 milliards USD en 2019, soit une augmentation de 79 % par rapport aux 1,4 milliards USD transférés en 2009, et équivalant à 10,5 % du PIB national. Ces chiffres font du Sénégal l’un des cinq pays d’Afrique subsaharienne recevant le plus de transferts de fonds, et l’un des 10 premiers pays sur 42 pays pour la part du PIB représentée par les transferts de fonds.

Il est prévu que la région subsaharienne dans son ensemble subisse en 2020 une chute de 23 % des transferts d’argent internationaux à cause de cette crise. Cette baisse au niveau régional prévue par la Banque mondiale dépasse les prévisions pour les envois de fonds au niveau mondial, qui devraient connaître une chute de 20 %. Un rapport suggère que le ministère des Finances craindrait même une diminution de 30 % des transferts de fonds vers le Sénégal en 2020.

La répartition des transferts d’argent à l’international dans le pays est gérée par des sociétés de transferts d’argent intenational, telles que MoneyGram, Ria, Small World et Western Union, ainsi que Wari, la société de transfert d’argent sénégalaise la plus importante. La plupart des services de transfert d’argent fonctionnent sur un principe de collecte « de la main à la main », ce qui implique un déplacement jusqu’à l’agence pour recevoir l’argent en liquide. Si en temps normal cette opération représente un coût financier et d’opportunité, elle est actuellement soumise à de fortes restrictions. Le confinement restreint également les agences dans les pays d’envoi, où les transferts d’argent envoyés par les communautés de diaspora reposent également en grande partie sur des versements en espèces. Au Royaume-Uni par exemple, une étude menée en 2015 et 2016 a démontré que l’argent liquide envoyé par l’intermédiaire d’agences constituait la solution privilégiée pour une grande majorité des envois de fonds vers l’Afrique (dans 90 % des cas).

La dépendance envers l’argent liquide pour l’envoi et la réception de transferts d’argent international s’observe malgré le fort taux de pénétration du téléphone portable au Sénégal : 70 % des adultes avaient un téléphone portable en 2017. La part de la population ayant accès au haut débit mobile est également en hausse : 39 % de la population y était connectée en 2018 (sur 16,29 millions d’habitants), alors que cette part était de 27 % en 2017.

On comptait également plus de 2 millions de comptes bancaires mobiles en activité en 2017. Les opérateurs travaillant dans les secteurs des comptes de monnaie électronique, des technologies financières et des transferts d’argent international œuvrent activement pour une plus grande inclusion (parmi ceux-ci on peut citer Ecobank, InTouch, Orange Money, Ria et Wizall Money). Ces sociétés font partie du groupe de travail sur les services financiers numériques organisé par le Fonds d'Equipement des Nations Unies (FENU) et co-présidé par le Ministère des Finances et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Ce groupe de travail catalyse des investissements dans la finance numérique et parmi les progrès récemment réalisés au Sénégal, on peut citer la proposition de services financiers numériques par plusieurs banques, ainsi que la proposition de services de porte-monnaie électronique par des sociétés de transfert d’argent.

Ces progrès soulignent l’opportunité se présentant aux transferts de fonds vers le Sénégal dans le contexte de la crise du COVID-19, mais la dépendance envers l’argent liquide a également montré sa vulnérabilité.
Au cours de cette pandémie, des mesures ont immédiatement été prises par le gouvernement en faveur de la diaspora sénégalaise, en allouant 12,5 milliards de francs CFA d’aides (soit environ 20,4 millions USD). Sur le plan intérieur, la BCEAO a annoncé des mesures afin de promouvoir l’utilisation de paiements électroniques, en plus d’apporter une aide aux entreprises et offrir des facilités aux particuliers emprunteurs sous la forme de report de délai de remboursement.

Des mesures supplémentaires sont désormais nécessaires pour numériser les transferts d’argent internationaux, et surmonter la préférence pour l’argent liquide parmi les migrants, leurs familles et leurs amis. Des institutions publiques pourraient s’associer avec des services d’envois de fonds pour aider à réaliser la transition de services « de la main à la main » vers des moyens entièrement numériques, tels que les portemonnaies électroniques et les comptes bancaires accessibles en ligne. Les Sénégalais ont besoin d’avoir une meilleure connaissance des plateformes numériques disponibles, et des initiatives devraient les encourager à développer leur confiance envers ces plateformes. Des partenariats avec les services d’envois de fonds devraient parallèlement développer l’alphabétisation financière des travailleurs migrants et de leurs familles.

Les services d’envois de fonds doivent également multiplier leurs partenariats avec le secteur privé sur le plan des technologies financières, afin que les envois de fonds soient reliés à des porte-monnaie électroniques. Ils doivent développer les réseaux d’agents et de marchands pour leurs services financiers numériques. La BCEAO doit accélérer son projet d’interopérabilité soutenu par la Banque Africaine de Développement, pour offrir aux clients une utilisation fluide des fonds recçus de l’international à travers les portemonnaies électroniques. D’après ce projet, tous les types de compte financiers devraient être interopérables d’ici mi-2020 dans les huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, intégrant les opérateurs de téléphonie mobile, des institutions de microfinance et les sociétés de technologie financière aux systèmes de paiements nationaux, et aidant les services financiers numériques à réduire les coûts des transactions financières ainsi que les délais de traitement.

L’aide pour maintenir le flux d’envois de fonds au cours de la crise du COVID-19 peut continuer à être apportée au niveau mondial et local grâce à des mesures comme la reconnaissance des services d’envois de fonds comme services financiers essentiels et l’apport d’une aide économique aux migrants et aux sociétés de transfert d’argent international. L’aide pour développer et mettre à l’échelle les canaux numériques de transferts d’argent internationaux est également cruciale dans le contexte de cette crise. De plus, l’entreprise de digitalisation à destination des migrants se trouvant à l’étranger et des bénéficiaires de leurs envois de fonds au Sénégal doit se poursuivre à un rythme soutenu car celle-ci permettra également d’accroître la résilience du pays sur le long terme face à des chocs tels que la pandémie actuelle de coronavirus.