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Renforcer les capacités en finance numérique pour la résilience des pays ACP

  • 20 December 2023

  • Libreville, Gabon

Fragilisés ces dernières années par le Covid-19 et les conséquences du changement climatique, exposés plus durement aux chocs externes et crises de gouvernance, les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) se doivent, plus que jamais, d’être résilients.

S’adapter, se transformer, innover pour répondre aux besoins criants des populations les plus vulnérables : ces évolutions structurelles nécessaires sont permises et accélérées par la technologie numérique, qui facilite l’inclusion financière et accroit les opportunités économiques.

Ces transformations rapides représentent néanmoins des défis immenses pour les responsables politiques et décideurs économiques. A charge pour eux de penser et d’élaborer les cadres opérationnels et les réglementations qui accompagneront le développement de l’économie digitale. La compréhension et la maîtrise technique des enjeux, qui dépassent le simple niveau national, ne pourront se faire sans un socle solide de connaissances. Ces enjeux englobent les questions de sécurité, la protection des consommateurs, la lutte contre le blanchiment d’argent, les actifs numériques, la blockchain, la régulation des Fintech, la construction de réglementations nouvelles ou encore l’inclusion financière et numérique des femmes.

Pour aider les pays ACP à relever ces défis, le Fonds d’équipement des Nations Unies (UNCDF), déploie depuis 2021 un plan innovant de renforcement des capacités s’adressant aux responsables et cadres des secteurs public et privé. Ce plan est une déclinaison spécifique de l’Africa Policy Accelerator (APA), adapté aux objectifs du programme « Digital Finance for Resilience » (DFS4Res), lequel vise à renforcer l’inclusion financière numérique et accroître la résilience dans 17 pays de la région ACP. Lancé au lendemain du Covid-19 et mis en œuvre par UNCDF, DFS4Res est soutenu par l’Union européenne et par l’Organisation du Groupe ACP.

Le programme APA a fait ses preuves dans plusieurs pays d’Afrique, comme en Égypte, en Algérie, en Éthiopie, au Malawi, en Tanzanie, ainsi que dans les zones Caraïbes et Pacifique. L’approche est ciblée, évolutive et construite avec les régulateurs. Il ne s’agit pas de proposer aux acteurs des différents pays des formations standardisées, mais bien de partir des besoins exprimés par les responsables locaux, en prise directe avec les sujets de la finance numérique. Des résultats mesurables et des objectifs à atteindre sont fixés, pour l’inclusion des femmes et des jeunes notamment. Ce qui se traduit par une attention particulière accordée au genre des bénéficiaires finaux des bourses accordées par l’intermédiaire des organismes de formation. Les outils digitaux permettent un apprentissage en distanciel, à travers des plateformes Internet et des applications mobiles, en tous lieux et à toute heure. Les participants ont accès gratuitement aux classes en ligne, aux cours, à des exercices, à des travaux pratiques, à des tests et QCM ; ils peuvent échanger avec leurs formateurs et leurs pairs.

A la fin 2023, 269 formations pour le renforcement des capacités ont été subventionnées dans le cadre du programme DFS4Resilience. Les financements accordés, pour un total de 167 250 USD, sont allés à trois organismes de formation : l’institut sud-africain Digital Frontiers Institute (DFI, 209 cursus subventionnés) et Toronto Center (10), spécialistes des sujets d’inclusion financière, numérique et d’égalité des genres, ainsi qu’au Centre pour la finance alternative de Cambridge University (50), dédié à l’innovation financière et réglementaire basée sur les technologies et actifs numériques. Le coût moyen d’une formation s’étalant de 250 USD à 2 200 USD, soit une subvention moyenne de 622 USD par boursier. Le taux d’achèvement complet des cursus s’est révélé très satisfaisant, à 70%. A noter que 43% des bourses ont été octroyées à des femmes.

Un programme décliné en Afrique francophone

Après l’Afrique anglophone, arabophone, les Caraïbes et le Pacifique, DFS4Res a poursuivi le déploiement de son programme technique de renforcement des capacités en Afrique francophone, au Gabon et au Niger. Au Gabon, l’accent a été mis sur des formations aux services financiers numériques, sur la protection des consommateurs et sur les Fintech. Ces formations, de quatre à huit semaines, ont été dispensées par DFI et Cambridge, à 35 participants, dont 13 femmes.

« Au terme de mon cursus sur la Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), attesté par un certificat de DFI, je maîtrise désormais pleinement les rudiments nécessaires pour aider à l’amélioration de notre dispositif LBC-FT, qui est une exigence légale et internationale », se réjouit Christelle Houechenou, chef de service Audit et Contrôle à la Coopérative pour le financement du développement communautaire (COFIDEC), un établissement de microfinance gabonaise. Pour Sylvie N’Tchandi Touré, co-fondatrice et directrice des opérations de l’incubateur gabonais Ogooué Labs, la mise en pratique des connaissances délivrées par Cambridge University, dans le cadre d’une formation portant sur l’innovation réglementaire et les Fintech, s’est appuyée sur un cas de projet concret, à l’étude au Gabon. « Nous n’avions pas la bonne démarche. La formation a ainsi été très bénéfique. Notre projet a été présenté et approuvé par les mentors de Cambridge University qui y ont vu de l’innovation et l’opportunité de le déployer au Gabon (…) Cette formation a eu d’énormes impacts ! Elle m’a permis de développer des compétences personnelles et des méta-compétences, qui m’ont amenée à être plus pointilleuse, plus regardante sur les questions de cybersécurité, dans le processus d’implémentation d’un bac à sable informatique (sandbox) par exemple », précise Sylvie N’Tchandi Touré.

Au Niger, le plan de renforcement des capacités a permis de donner à 37 professionnels, dont 10 femmes, des compétences et connaissances pointues dans les domaines principalement de la monnaie électronique et ses principaux marchés, mais aussi de l’inclusion financière, de la blockchain et de la cryptomonnaie, de la réglementation des services financiers numériques ou encore de la digitalisation de l’assistance sociale et humanitaire. « Grâce à ma formation avec DFI, j’ai pu dessiner l’architecture du volet finance digitale de l’institution de microfinance Capital Finance au Niger », relève Hassane Kaffa, consultant. De son côté, Salim Daouda Haman, alors en poste auprès du secrétariat exécutif de la SNFI (stratégie nationale pour la finance inclusive) au Niger, a pu maîtriser les outils de contrôle et de monitoring nécessaires afin de favoriser l’inclusion financière numérique dans le pays, après un cursus portant sur la supervision de la monnaie électronique. Pour Yahaya Amsatou, spécialiste finance numérique au sein de l’équipe du Projet Villages Intelligents (PVI), la formation Leading Digital Money Markets, dispensée également par DFI, lui a permis de s’inspirer des bonnes pratiques et des succès observés dans la mise en place de solutions pour digitaliser la monnaie, en Afrique, en Chine, en Inde, aux Etats-Unis. « Au Niger, le Mobile Money n’arrive pas à décoller. Avec ce tour du monde des différents marchés, j’ai pu comprendre ce qui fonctionne, m’inspirer des meilleurs exemples pour introduire et développer l‘usage de la monnaie électronique au Niger, me pencher sur les aspects réglementaires, voir quels cadres ont été mis en place, quelles techniques ont été utilisées dans tel ou tel pays (…) Au sein du PVI, cela nous a permis d’ajuster et de réorienter nos activités, en matière d’éducation financière et numérique par exemple, au niveau de la centaine de centres informatiques et multiservices que nous mettons en place en zone rurale. De comprendre la nécessité de dynamiser les réseaux de distribution de Mobile Money car la demande est là, mais l’offre ne suit pas. Les revendeurs sont à la peine. Digitaliser les paiements au gouvernement, mais aussi les salaires versés aux fonctionnaires, les bourses, les pensions... permettraient de faire du volume. On a établi des feuilles de route en ce sens », détaille Yahaya Amsatou.

Durant ces formations, les participants gabonais et nigériens, francophones, ont parfois pu être challengés par la technicité de la langue anglaise utilisée pendant les classes virtuelles et pour certains documents de référence, par le rythme soutenu et la difficulté à dégager du temps pour l’apprentissage ou le niveau d’exigence des modules. Ainsi, la construction d’une offre de formation en français est nécessaire. Des parcours adaptés, déclinés online, avec des supports de cours et des interventions en français, appréhendant les nuances culturelles, permettraient de toucher un plus large public de professionnels en Afrique francophone.

Ces leçons apprises et les succès engrangés depuis 2021 plaident pour l’extension des plans de renforcement des capacités à davantage de bénéficiaires des pays ACP. L’ingénierie et le contenu des formations méritent également d’être approfondies afin de répondre mieux encore aux réalités de la finance digitale sur le terrain et transférer à terme ce savoir-faire à des universités et institutions du Sud Global.